La carte postale de Doria (2ème partie)

de | 29 mars 2010

Formatrice en boulangerie au centre Agapè de Niamey, Doria nous livre une nouvelle carte postale (la première est à revoir ici) pour nous parler un peu – même beaucoup – d’interculturalité !

« En effet, vivre et travailler entre personnes de cultures différentes, de religions diverses donnent indéniablement lieu à des interactions qui participent énormément à sa propre construction identitaire. L’expérience que je vis ici m’apporte énormément de connaissances sur moi-même mais aussi sur les autres, et permet de passer outre les clichés, les préjugés et les stéréotypes.

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La fonction de formatrice me fait énormément ressentir le fossé culturel existant entre les personnes avec qui je travaille, provoquant souvent des incompréhensions et des problèmes pour eux et pour moi. Mais surtout cette différence culturelle entre mes élèves et moi nécessite forcément un travail important sur une pédagogie différenciée. Ici les relations tactiles sont fortement mises en avant, c’est dans leur culture. Cela arrive tous les jours qu’un élève me prenne par la main pour m’emmener dans la chambre de fermentation voir les produits. Un geste qui pourrait être très mal pris chez nous où il existe vraiment une frontière entre les élèves et leur professeur. Mais cela n’existe pas ici, au Centre.

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Ce sont leurs relations sociales de tous les jours. Il n’est pas rare de voir même deux hommes se prendre la main pour aller chercher ou montrer quelque chose. J’insiste donc énormément sur le kinesthésique dans mes démonstrations. Il ne faut pas avoir peur de prendre la main de l’élève et de lamer une baguette avec lui : c’est ce que l’élève attend de toute façon.
De même le tutoiement est une obligation ! Tout comme dans la vie quotidienne quand je m’adresse, par exemple, à un vendeur et qu’il me répond. Tout le monde se tutoie même si l’on ne se connaît pas. « Tu me fais combien le kilo de pommes ? » « Bon pour toi, ce sera 500 francs! »

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Toutes ces petites choses de la vie quotidienne demandent une capacité à se rapprocher des personnes très rapidement mais aussi à ne pas être froid avec elles car elles peuvent le prendre assez mal et vous pouvez vite être exclu et pris pour quelqu’un de mauvais.

Une fois, je me souviens, nous étions en cours avec les élèves et d’un seul coup j’entends un claquement de doigts accompagné d’un « spiiiiit ! farine ! ». En fait c’était un de mes élèves qui s’adressait à moi. Pas un « excusez-moi », pas un « s’il te plait ». Mais voilà ce n’est pas dans leur culture de dire « s’il te plait ». Jamais personne n’utilise ce mot, tout simplement car personne ne refuse jamais rien à quelqu’un. Tout le monde vient toujours en aide à tout le monde.

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Un Nigérien galère avec sa voiture, il y a toujours quelqu’un qui viendra l’aider. A la boulangerie c’est pareil. Le travail se fait toujours à plusieurs et il est rare que quelqu’un se retrouve seul sur une tâche. Les Nigériens comptent énormément sur l’apprentissage par les pairs (les élèves s’entraident énormément) et ils sont respectueux de la hiérarchie et notamment de la hiérarchie de l’âge. Ici quelqu’un de plus âgé que toi c’est ton « papa » ou ton « tonton », même si celui-ci n’est pas de ta famille. Beaucoup d’élèves appellent par exemple le gérant « tonton ». La personne âgée, c’est celle qui a l’expérience et la sagesse ce qui fait qu’on la respecte.

Les différentes situations que je rencontre me permettent d’accroître mes capacités à m’adapter à différents environnements.

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Pour moi, le fait d’être une femme ne pose pas trop de problèmes car je suis respectée plus en tant qu’étrangère que femme. Mais pour une femme nigérienne, travailler dans une boulangerie relève d’un sacré défi. Au Centre Agapé, sur 4 promotions d’élèves, 2 femmes ont été formées et ont obtenu avec succès leur diplôme. Mais maintenant, on rencontre d’énormes difficultés à leur trouver un emploi.

Ici les boulangers ne veulent pas embaucher de femme si ce n’est pas pour la marier ! Alors qu’une d’entre elles a même fini major de sa promotion et sait effectuer les mêmes tâches qu’un homme ! Malheureusement, encore une fois, la différence culturelle et la place sociale de la femme ne sont pas les mêmes que dans nos pays occidentaux. Ici très peu de femmes ont d’autre choix que d’être « tanti » (ce sont les dames qui préparent à manger dans la rue) ou de travailler dans les bureaux. Et encore on croise souvent des hommes derrière les divers guichets.

Il faut donc intégrer et surtout respecter la culture du pays qui vous accueille.
Ce qui me chagrine le plus, est cette impression d’être considérée dans la plupart des situations comme quelqu’un de dominant. En effet, malgré le fait que cela fasse des mois que je sois là, on fait toujours pour moi les tâches qui peuvent paraître les plus ingrates dans une boulangerie. Lorsqu’il s’agit de tâches de ménage, alors là, je ne vous en parle même pas ! Je ne peux pas passer le balai par terre plus de 3 minutes sans que l’on vienne me le prendre des mains. Porter un sac de 50kg, tout le monde accourt autour de vous ! Et je m’entends dire : « ce n’est pas à toi de le faire ». Eh bien si, au contraire, nous sommes tous ici pour bosser ! Je salis ; c’est normal que ce soit à moi de nettoyer.

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Il y a ici un respect indéniable pour les étrangers. Et c’est comme cela dans la vie courante également. Tu ne peux pas porter un sac de courses au supermarché, on te laisse passer parce que tu es étrangère. Maintenant à contrario, on attend beaucoup de l’expatrié en matière d’aide. Il est impossible de passer une journée sans entendre « nazara cadeau ». Nazara cela veut dire le blanc (ou la blanche !), « donne-moi de l’argent». La misère du pays fait qu’à tous les carrefours et devant les magasins, vous croisez des mendiants. Ils rentrent même parfois dans la boutique pour demander l’aumône.

Toi, face à tout cela, tu ne peux t’empêcher de penser à quel point tu es chanceux. Mais le problème, c’est qu’il y a tellement de monde ici dans le besoin : qui aider, comment l’aider ? Pour ma part je sais que je donne beaucoup aux handicapés car ici il n’y a rien pour les aider : ni aide de l’état, ni centre d’accueil.

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D’un point de vue professionnel il faut aussi s’adapter aux rythmes de vie et aux cycles du temps différents. Le Niger est un pays à 95% musulman et le rythme de vie quotidien est fortement régi par les heures de prières. Il n’est pas rare de trouver une épicerie fermée car le vendeur est parti à la prière. Généralement entre 13h et 15h, il faut prévoir que les élèves comme les ouvriers vont s’absenter pour aller à la mosquée.

Les gens ne sont pas pressés puisque à part le travail ils n’ont rien. Même si les congés payés sont de 4 semaines, jamais personne ne les pose puisqu’ils n’ont pas d’autres d’occupations que le travail. Les mots comme RTT ou vacances, ils ne connaissent pas. De même, le temps n’a pas de limite. On ne vous donne jamais de date précise. Quand vous commandez quelque chose, vous demandez un délai, et on répond : « jeudi inchallah ce sera prêt ». Là, tu sais déjà que jeudi seulement commencera le travail. Mais le discours que je tiens n’est pas du tout péjoratif. Ce sont les us et coutumes d’ici. C’est à toi, en tant qu’étranger, de t’y plier et de les respecter.

Il ne faut pas venir ici pour imposer tes méthodes, tes règles ou tes lois. Il faut accompagner ce qu’ils savent déjà et construire de nouveaux procédés qui correspondent et améliorent leurs capacités et besoins.

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Afin d’optimiser mon action professionnelle avec les Nigériens, je place une importance énorme dans la communication. Il ne se passe pas une journée sans que des choses qui peuvent paraître niaises, comme les salutations par exemple, me permettent d’instaurer un climat de confiance entre eux et moi. J’arrive le matin et je ne commence pas une journée sans auparavant avoir passé le bonjour à tout le monde. Les salutations permettent en plus de personnaliser les relations : « Comment va madame ? Et les enfants ? Et la santé ? Et le quartier ?…. »

Tu dis bonjour à quelqu’un, tu as parfois près d’une dizaine de questions comme cela et là toujours l’idée de contact : tout le temps que tu salues quelqu’un, tu ne lui lâches pas la main. Il faut également dans ce pôle de la communication arriver à décrypter le non-dit et surtout avec les élèves, car beaucoup n’oseront jamais poser des questions sur quelque chose qu’ils n’auraient pas compris. Ils sont très réceptifs aux feedbacks. Il est important d’analyser leur travail, de le valoriser. Cela ne leur arrive pas souvent d’être félicité dans la vie de tous les jours donc dès que tu fais cela, tu sens leur motivation décupler.
Ils sont fiers que l’on reconnaisse leur production. J’intègre assez souvent de l’humour dans mes discours, toujours dans ce souci de casser cette différence culturelle entre nous et de démontrer que l’on peut passer outre cette barrière et que l’on a tous la même passion qu’est la boulangerie. Par contre c’est un outil à manipuler avec précaution afin de ne pas tomber dans l’excès.

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La prudence, la patience et l’humilité sont pour moi des facteurs à ne surtout pas oublier lorsque l’on travaille avec des personnes de cultures différentes. Désireuse de poursuivre d’autres expériences à l’étranger, n’hésitez pas à me raconter vos expériences d’expatriés afin d’enrichir encore mes savoirs sur le fait de travailler dans un environnement présentant des différences culturelles. »

@+
Doria
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